Haïti
03-09—21

On ne peut pas dire que tout va bien en Haiti

Une crise économique grave qui dure depuis plus de 10 mois paralyse le pays. L’oligarchie d’argent et les accapareurs des fonctions politiques ignorent les autres, l’ensemble de la nation, autrement dit les paysans et les urbains pauvres.

Routes barrées, carburant indisponible. Racket des passagers des voitures et autobus. Marché noir avec pignon sur rue. Des tirs de snipers créent un climat de terreur dans certains quartiers. Les habitants de Martissant ont fui tant la peur est grande.

Certains des plus instruits trouvent du travail comme agronomes ou gestionnaires de projet bien payés mais ce sont des fonctionnaires sans expérience de terrain, des têtes sans mains. Ils n’ont jamais réalisé chez eux les référentiels valables économiquement qu’ils préconisent pour les autres.

Quelles sont les causes de ces situations qui se répètent dans tous les pays du tiers-monde ?

La mondialisation ultra-libérale tue tous les paysans du monde. L’agriculture productiviste (avec produits phytosanitaires et irrigation qui détruisent la vie des sols) accapare les meilleures terres. Elle utilise des tracteurs, etc., et très, très peu de main d’œuvre. Elle gaspille l’énergie fossile : avec 7 à 10 calories fossiles elle ne produit qu’une seule calorie alimentaire !! Alors qu’elle produit moins de 40% de l’alimentation mondiale, c’est elle qui fixe le prix des aliments sur l’ensemble de la planète.

Les pays riches donnent un peu d’argent et de générosité au service des plus pauvres pour faire croire que l’on peut aider les pays du tiers-monde. Mais la tâche est colossale et l’action ne peut être efficace qu’à la condition que l’école dépasse son devoir d’apprendre aux enfants pour devenir un lieu où l’on comprend. Mais nous savons tous que le développement ne peut être qu’endogène (qui nait dans le pays avec les moyens du pays) et pour cela, il faut se débarrasser de l’emprise délétère de la mondialisation ultra libérale qui tue des millions de paysans tout en portant atteinte au futur de la terre.

Un tremblement de terre c’est grave partout dans le monde mais c’est beaucoup plus grave dans les pays sous-développés : les maisons, faute de moyens, sont fragiles. S’il faut 20 % de budget en plus pour rendre parasismique une maison des pays riches, il faut un budget trois fois plus important dans les pays pauvres pour obtenir le même résultat. Il n’y a pas d’assurance. N’ayant vécu que de beaucoup de misère et de mépris, les gens du tiers-monde ont tendance à construire trop grand, essayant à leur échelle de copier les plus aisés. Ils manquent d’estime de soi à cause de l’humiliation qu’est la pauvreté.

La qualité des matériaux n’est pas définie par la loi, d’où des matériaux de base déficients (sables, graviers, blocs en Béton, fer, etc.). Pas de contrôle des constructions. On fait payer des taxes et patentes aux maçons et ensuite plus rien. Pas de cadastre, pas de plans approuvés, pas d’urbanisme. Les constructions se faisaient traditionnellement en structure bois avec toit en paille. Toute la communauté participait à la construction et apportait sa cote part sous forme d’un arbre, d’un poteau en campêche, de clous, d’une charge de paille de vétiver ou de nourriture.

Après les cyclones qui se sont succédé depuis 1953, des quantités monstrueuses de bois de construction ont été nécessaires mais personne, faute de lois et de volonté politique, n’en a replanté. Les constructions qui auraient pu être en bois et sans étage pour résister au tremblement de terre, sont mal construites mal faute de moyens, en blocs de béton de qualité médiocre. Ce matériau lourd résiste bien aux cyclones mais n’est pas adapté aux tremblements de terres qui détruisent les demeures des pauvres. Une politique libérale mondialisée (la loi du plus fort) crée la misère. Les pauvres sous-éduqués, construisent mal en exploitant la nature et leur propre personne. D’où des situations humaines dignes des périodes de guerre.

Sous des draps, des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards, se protègent du soleil et subissent des pluies, la faim, la soif et la perte d’estime de soi, faute de bâches étanches pour se mettre à l’abri mais surtout faute de pouvoir croire dans un futur où la vie serait digne.

N’ayez pas bonne conscience vous les privilégiés qui après le Covid voulez retourner au tourisme d’avant, à la vie d’avant, au gaspillage d’avant. Quand les pays riches comprendront-ils que dans un monde fini quand un groupe de favorisés, 20 % de la population mondiale, absorbe 86 % de la richesse mondiale on ne laisse aucune chance aux habitants des pays pauvres ?

Le 14 août à 8 h 29, la terre a tremblé détruisant maison, routes, canaux d’irrigations. Des éboulis gigantesques ont mangé des centaines d’ha de terres, les maisons et leurs habitants. Le barrage hydro-électrique de Saut Mathurine ne peut plus contenir d’eau ; il est comblé de terre, de roches et d’arbres emportés par des glissements de terrain. Les distributions d’eau sont hors-services. Il n’y a plus d’électricité, plus d’internet et des difficultés avec la téléphonie. Beaucoup d’écoles sont détruites. C’est heureusement arrivé un samedi et les élèves étaient chez eux. Depuis, il y a eu plus de 100 répliques fragilisant ce qui était déjà endommagé et forçant la population à dormir dehors. Pas de médicaments, pas de bandes plâtrées, pas de médecins et beaucoup de découragement dans le monde de la santé en panne de salaire. Je ne m’étendrai pas sur les dommages chez moi, un désastre, une maison à détruire et un énorme travail de rangement pour sauver ce qui peut l’être.

Dans la nuit du 15 au 16 août une tempête tropicale a déversé sur nos têtes 233 mm d’eau (233 litres par m²) et le lendemain 131 mm de plus. La combinaison des éboulements de terrain et des inondations nous a fait perdre des masses énormes de terre emportées par le fleuve « Ravine du Sud » et d’autres fleuves vers la mer.

Que feront les habitants des pays pauvres sans leurs terres agricoles ? Où iront tous ces pauvres quand ils ne pourront plus vivre dans leurs pays? Que ferons-nous d’eux ?

 

Jean Sprumont